On ne s’y attendait pas. Certains policiers de circulation à Kinshasa se servent des gris-gris pour interpeller des conducteurs. C’est ce que vient de nous affirmer ce vendredi 28 mars 2025, Mama Pélagie (nom d’emprunt : ndlr), policière de circulation depuis 1998 dans la capitale congolaise.
Tout est parti d’une discussion que nous avons eue avec la policière dans un taxi. Nous étions sur le tronçon Rond-Point Huilerie et Regideso lorsque le conducteur d’un taxi privé dans lequel nous nous trouvions a décidé de la prendre, avec notre accord, après plusieurs demandes pour l’avancer vers son lieu d’affectation, qu’elle a voulu garder secret. Méfiant, le conducteur lui lance : “Soki na memi yo, toko koma kuna, obalukeli nga… Après ba masta nayo ba kangi ngayi.” Traduisez : “Si je te transporte, une fois là-bas, tu risques de te retourner contre moi et m’arrêter avec tes collègues.”
“Je ne suis pas une personne ingrate”, rétorque la policière. Avec notre accord, le chauffeur débloque les verrous des portières et la policière, visiblement dans la cinquantaine, monte dans le taxi. Une fois dedans, le chauffeur décide de lancer la conversation : “Alors pourquoi vous arrêtez des gens même lorsqu’ils n’ont rien fait ?” “C’est depuis 1998 que je suis sur la chaussée pour réguler la circulation. Je fais toujours de mon mieux pour ne pas tomber dans l’abus. Même si beaucoup d’entre vous ont développé une forme d’animosité envers nous, même s’ils sont réellement dans l’infraction”, répond-elle.
“Mais même si j’accepte de m’arrêter pour écouter ce que vous me reprochez, aussi légère soit la faute, au lieu de me réprimander tout simplement, vous finissez toujours par me coller des amendes fantaisistes”, poursuit le conducteur, qui appuie son constat par la situation socio-économique du pays, poussant certains à banaliser la corruption.
C’est là que la policière nous balance ce que nous croyons être une histoire rocambolesque. “Beaucoup de roulages sont devenus bizarres. Ils usent des fétiches pour sentir si ce chauffeur a de l’argent sur lui, et que, s’ils parviennent à l’arrêter, l’infortuné cherchera à les corrompre pour éviter d’aller au commissariat et eux, ils vont se faire quelques billets”, dit-elle avec assurance.
On dirait de la fiction. “Vous ne dites pas vrai”, lui avons-nous dit. Mais elle a insisté : “N’avez-vous jamais remarqué que vous êtes plus sujet à des tracasseries que seulement lorsque vous avez de l’argent sur vous ? Beaucoup de collègues usent des gris-gris pour sentir la présence d’argent chez le conducteur. Je sais ce que je dis !”
“Mais est-ce nécessaire si vous avez des salaires et parfois des dons de personnes de bonne foi ?”, lui avons-nous demandé en essayant de questionner l’éthique de toute la corporation à travers elle.
“Je ne peux malheureusement pas parler au nom de tout le monde. Vous m’avez vue, est-ce que vous pouvez dire que je suis heureuse ? Je pense que vous arrivez à voir que ma vie est difficile, mais ce n’est pas pour autant que je dois me lever chaque matin pour venir importuner des gens sur la route. Je me contente de ma vie et je pense que c’est aussi ce qui a plu à l’un de mes fils, qui a choisi de faire ce métier.”
“Mais les autres voient la vie difficile que mènent les roulages et décident de se faire payer autrement. Et pour que ça marche, ils décident de mettre toutes les chances de leur côté en adoptant sans problème le manque d’éthique, la malhonnêteté, le mensonge, la tracasserie et, par-dessus tout, les gris-gris”, indique Mama Pélagie, qui s’approchait de sa destination située à l’arrêt Restaurant, juste après l’avenue Colonel Ebeya, devenue Avenue Tabu Ley Rochereau en hommage à l’icône de la rumba congolaise, décédé le 30 novembre 2013 à Bruxelles.
“J’ai formé des jeunes et d’autres sont devenus formateurs. Je suis sur le terrain depuis 98 et croyez-moi, j’ai des preuves de ce que je vous dis…”, renchérit-elle.
Avant de descendre, elle a profité pour nous remercier et prodiguer des conseils au chauffeur avant de lâcher, en souriant : “Vous croyez que c’est facile de faire une tontine de 50 000 FC par jour ?”
Comme nous dans ce taxi, beaucoup de compatriotes ont toujours condamné le comportement des policiers de circulation et leur rôle dans la mauvaise gestion du trafic, surtout en cette période où le mauvais état des routes a accentué les bouchons à travers la ville, sous l’œil impuissant des autorités. Plusieurs recommandations sont formulées de temps en temps pour tenter de remédier à cette situation, dont le recyclage du personnel commis à cette tâche.
Bahatiquement