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Crise à l’Est, inaction de l’OIF : la Francophonie, un fardeau pour la RDC ?

Face à la situation sécuritaire alarmante et fort dégradante à l’Est de la République Démocratique du Congo avec en toile de fond, à en croire les rapports des Experts de Nations-Unies qui pointent du doigt l’implication du Rwanda et à l’inaction de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), des voix s’élèvent pour réclamer le départ de la République démocratique du Congo (RDC) de cette organisation.

Si certains considèrent cette option comme une affirmation de souveraineté, d’autres plaident pour une réforme interne permettant à la RDC de peser davantage dans les décisions. Entre frustrations légitimes et considérations diplomatiques, cette enquête menée en ligne, explore les tenants et aboutissants d’un possible retrait.

Un désengagement progressif de la Francophonie ?

Depuis plusieurs années, la RDC exprime des réserves sur son rôle au sein de la Francophonie. À ce propos, il est important de noter que les critiques explicites de la RDC envers l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) quoique n’étant pas largement documentées, se justifient dans plusieurs sources disponibles. Des tensions récentes ont mis en lumière des frustrations de la part de la RDC concernant l’inaction perçue de l’OIF face à certaines crises régionales.

Par exemple, lors du XIXᵉ Sommet de la Francophonie en octobre 2024, le président congolais Félix Tshisekedi a quitté prématurément le sommet, exprimant sa frustration face à ce qu’il considérait comme une impartialité de la part du président français Emmanuel Macron concernant le conflit au Nord-Kivu. Cette situation a conduit la RDC à envisager de suspendre sa participation à l’OIF, ressentant un manque de soutien stratégique de la part de l’organisation.

De plus, des critiques ont été formulées concernant la nomination de Louise Mushikiwabo, ancienne ministre rwandaise des Affaires étrangères, à la tête de l’OIF. Cette nomination, soutenue par la France, a suscité des réserves en RDC, compte tenu des tensions entre la RDC et le Rwanda.

Pourtant, la crise sécuritaire à l’Est semble avoir accéléré ce débat. L’incapacité de l’OIF à condamner clairement l’implication du Rwanda dans l’instabilité régionale est perçue par plusieurs observateurs comme une preuve supplémentaire de son inefficacité. Lors du sommet de Djerba en 2022, la RDC avait pourtant tenté de porter la question sur la table. En vain.

Pour JBM, cadre au sein d’une organisation de Nations-Unies en poste en Centrafrique, un retrait de l’OIF est tout à fait envisageable d’un point de vue juridique. « Le retrait d’un membre est conditionné par certaines obligations, notamment un délai de notification de six mois et l’acquittement de ses contributions envers l’organisation. Mais cela ne représente pas une difficulté majeure pour un pays comme la RDC », explique-t-il. JBM soulève néanmoins une autre question : quelles sont les dispositions des lois nationales sur cette question ? Actuellement, aucun texte en RDC ne définit précisément les modalités de sortie d’une organisation internationale comme la Francophonie. Le gouvernement devra donc se pencher sur cet aspect avant d’engager une telle démarche.

Quitter la Francophonie : un choix rationnel ?

Pour les partisans du départ, le constat est simple : la Francophonie ne sert à rien. D’un point de vue sécuritaire, l’OIF n’a jamais pesé dans la résolution des conflits en RDC. D’un point de vue économique, l’espace francophone ne favorise pas les échanges commerciaux entre ses membres. La RDC, malgré son statut de premier pays francophone du monde en nombre de locuteurs (50 millions, soit seulement 16 millions de moins que la France), ne bénéficie d’aucun privilège particulier.

De nombreux observateurs citent l’exemple du Rwanda, qui a quitté la Francophonie en 2009 pour rejoindre le Commonwealth. Depuis, Kigali a diversifié ses alliances économiques, attiré des investisseurs anglophones et modernisé son système éducatif. Pour certains, cet exemple prouve qu’un désengagement de la Francophonie ne serait pas un isolement, mais plutôt une opportunité pour la RDC de réorienter sa diplomatie.

Un diplomate congolais, sous couvert d’anonymat, va plus loin : « La Francophonie est un outil de contrôle postcolonial. On maintient les États africains dans un cadre institutionnel qui leur donne l’illusion d’une communauté de solidarité, alors qu’en réalité, ce sont toujours les mêmes puissances qui en tirent profit. » Cette vision, de plus en plus partagée au sein des milieux politiques congolais, alimente le sentiment que l’appartenance à l’OIF est un fardeau plus qu’un avantage.

Une réforme de l’intérieur, une meilleure alternative ?

Mais tout le monde ne partage pas cette vision. Elie Ndaya, journaliste digital et rédacteur à Lisapo.info, estime qu’un retrait serait une erreur stratégique. « La question du retrait de la RDC comme membre de l’OIF est pertinente, surtout face à la situation complexe à l’Est du Congo -Kinshasa. Il est clair que la RDC se sent frustrée par l’inaction de l’OIF concernant la crise, notamment avec le rôle perçu du Rwanda dans le soutien au M23. Toutefois, suspendre ou retirer la RDC de la Francophonie ne semble pas être la solution la plus stratégique », soutient-il.

Pour lui, au lieu de quitter l’organisation, la RDC devrait l’utiliser comme un levier diplomatique. « Loin de diminuer l’influence de la RDC, il serait plus judicieux d’utiliser cette plateforme pour appuyer une réforme de l’OIF, afin qu’elle joue un rôle plus actif et concret dans la résolution des conflits internes entre ses membres. Il est important que la RDC continue de peser dans ces discussions pour garantir une diplomatie plus juste et efficace dans les affaires africaines », argue-t-il.

Son point de vue se base sur le fait que la RDC, en tant que plus grand pays francophone, a un poids considérable qui pourrait être mis à profit pour exiger des réformes. Plutôt que de se retirer, la RDC pourrait exiger que l’OIF prenne des positions plus fermes sur les conflits impliquant ses membres. Elle pourrait également pousser pour la création de mécanismes concrets de médiation et de sanctions contre les pays qui violent la paix et la souveraineté de leurs voisins.

Les implications d’un départ : entre rupture et réorientation

Si la RDC venait à quitter la Francophonie, quelles en seraient les conséquences concrètes ? D’un point de vue politique, ce retrait serait un acte fort marquant la fin d’une certaine complaisance diplomatique. Il enverrait un message clair sur la volonté de Kinshasa de diversifier ses alliances et de ne plus se laisser enfermer dans un cadre institutionnel jugé inutile.

Sur le plan économique, la sortie de la Francophonie ne changerait pas grand-chose. Pour Simon Kazungu, économiste et conférencier, «la RDC n’a jamais bénéficié d’accords commerciaux spécifiques grâce à son appartenance à l’OIF.» Il poursuit en affirmant que «les principaux partenaires économiques sont déjà en dehors de cet espace, notamment la Chine, les États-Unis et les BRICS. Une réorientation vers ces blocs pourrait même renforcer l’indépendance économique du pays».

En matière linguistique et éducative, révèle le professeur Ngandu Godefroid, «l’impact serait plus limité qu’on pourrait le croire. Le français resterait la langue officielle du pays, avec ou sans l’OIF.» Toutefois, une telle décision pourrait encourager l’État congolais à promouvoir davantage l’anglais et les langues nationales, notamment le swahili, qui est déjà dominant dans la région des Grands Lacs.

Vers une décision politique majeure ?

À ce jour, la question du départ de la RDC de la Francophonie reste un sujet de débat. Si l’option d’un retrait semble gagner du terrain dans les milieux politiques et intellectuels congolais, elle n’est pas encore officiellement à l’ordre du jour du gouvernement.

Toutefois, face à l’inaction persistante de l’OIF et au contexte sécuritaire tendu, la pression pourrait s’accentuer dans les mois à venir. Le gouvernement congolais devra alors trancher entre une réforme de l’intérieur ou une rupture définitive avec une organisation de plus en plus contestée.

Dans un contexte où la souveraineté et les alliances stratégiques sont au cœur des préoccupations, la décision que prendra la RDC sera déterminante pour son avenir diplomatique. La Francophonie survivra-t-elle à cette remise en question, ou la RDC ouvrira-t-elle la voie à un nouveau rapport de force entre l’Afrique et ses anciennes tutelles ? Seul l’avenir nous le dira.

Claudine N. I.

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