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De Kinshasa à Athènes : un migrant congolais raconte son voyage

Baggio a quitté Kinshasa pour gagner l’Europe. Il a dépensé plusieurs milliers d’euros pour concrétiser son projet. Baggio a pris des risques mais aujourd’hui il est sain et sauf tout proche du but. Il raconte à Lisapo.info son périple.

2018. Je décide de quitter le pays à cause principalement de la situation politique très instable à l’approche des élections. Mais aussi pour rejoindre amis et famille bien installés dans le vieux continent.

Ce devait être un jeu d’enfants, sauf que Kabila dans ses emportements politiques et diplomatiques a fermé la maison Schengen fin janvier 2018. Impossible de trouver un visa même si je pourrais avoir une prise en charge dans les normes. J’envisage alors de passer par l’Angola et recommencer la procédure via une invitation avec une autre adresse. Je passe par un ami pour me faire inviter et prendre l’avion pour Luanda, mais l’ambassade d’Angola à Kinshasa s’y oppose.

Cet ami me promet alors qu’il peut m’obtenir un visa pour la Turquie. Et, une fois à Istanbul, je pourrai prendre une correspondance pour Bruxelles. Prix du deal : 2 500 $. Commence alors une attente qui va durer deux semaines. Et, j’obtiens enfin mon visa pour la Turquie. Son agence s’est occupée des démarches du voyage.

Kinshasa, Entebbe, Doha et enfin Istanbul

Un mois, plus tard, je suis dans l’avion en direction d’Istanbul en passant par Entebbe et Doha. J’arrive à Istanbul et découvre une mégapole de ouf.  ! Des chantiers partout ! Un peuple actif et commerçant dans un pays émergeant très dynamique ! J’aime le pays car je peux y faire un petit “business”. J’achète des trucs que j’envoie au pays et devinez quoi ? Ça marche ! Mais je ne suis pas venu pour ça ! Car, il faut rester constant dans la vie !

Je reviens donc sur mon projet : atteindre l’Europe. Je me rappelle que mon ami m’avait confirmé que j’aurais le choix entre l’avion, le train ou encore la route. Du coup, je me renseigne et me rends compte que tout ça n’était que du baratin. Et la vérité apparaît à mes yeux : “il n’y avait que la voie de la mer la plus possible et la plus praticable“.

Je me rend chez le plus grand passeur d’Istanbul. Il s’appelle Ablo et est de nationalité ivoirienne. Je lui remets 1 300 € pour traverser dans un canot rapide, appelé dans le milieu “Dingi volant” ! Le marché est conclu et j’attend patiemment son appel pour la suite du programme.

Mais, quelques jours plus tard, je découvre dans les médias que le plus grand passeur est aux arrêts. Je sens la terre se dérober à mes pieds. Et, me voilà tout à coup très mal. Les images font le tour du monde. Des africains pleurent le passeur et moi je pleure mon argent. Conclusion : je vais devoir continuer à bosser. Je serre les dents, et me mets en quête d’un nouveau boulot pour réunir une nouvelle fois le montant demandé. Et aussi, trouver un autre passeur.

Huit mois plus tard

Je réunis l’argent et je trouve un passeur. Une fois de plus, je paie 1 300 €, sauf que la traversée s’effectue au départ d’Izmir. Cette ville côtière est à 800 km d’Istanbul. Je paie, je prends mon sac et je me dirige vers Izmir. Là, les contacts du passeur nous demandent de rester à l’hôtel et attendre leur signal. Nous sommes plusieurs “clients” rassembler à Izmir. Cette attente va durer 10 jours.

Puis, au matin du dixième jour, quelqu’un m’appelle et me demande de me préparer pour la nuit. Ils envoient un taxi qui nous dépose tous à ce qu’ils appellent « le premier site ». Là, nous nous retrouvons à 75 personnes. Mes compagnons de fortune et moi attendions jusqu’à 3 heures du matin, puis commence la longue marche. Une marche de 7 heures à travers les montagnes et la brousse turque.

Un vrai parcours du combattant, un supplice pour les femmes et les enfants qui tombent et qui chancellent sous l’effet de la fatigue et de la souffrance. On arrive enfin au “site de lancement”, lieu de l’embarquement. Nous campons sur le site à la demande de nos guides. Ils nous conseillent aussi de nous nourrir et surtout de nous reposer avant « le lancement ».

Au milieu de la nuit, je suis réveillée ainsi que mes compagnons de voyage par les passeurs . Ils demandent aux hommes de descendre à la plage. Arrivés là, nous trouvons un zodiac à 6 moteurs et 6 pompes manuelles.

Je pompe avec les autres mais je ne peux m’empêcher de penser à l’argent que j’ai dépensé pour traverser à bord d’un canot rapide et pas d’un pneumatique. L’un des gars de l’équipage m’interpelle en hurlant : “tchabuk ! tchabuk !”. Ça veut dire « plus vite, plus vite » en turc.

Et voilà que le zodiac est prêt pour la traversée. On démarre le moteur et lui fait faire un tour de rodage pour vérifier s’il fonctionne bien. Alors que les passeurs apprennent à l’un d’entre nous, volontaire, le pilotage du zodiac. Les femmes et les enfants mettent leurs gilets de sauvetages.

Le pilote de Baggio posant devant le fameux “dingi” (zodiac)

L’arche de Noé vers Schengen

Après une heure de préparatif, le “dingi” est paré. Nous voilà tous installés. Je prie dans mon cœur quand j’entends : “Go” !

Il fait frisquet, on est en hiver et il fait à peine 13°C. Le moteur répond bien, les vagues sont dociles, tout y est pour une traversée réussie. Dans un zodiaque conçu pour une équipe de 65, nous sommes 75. Mais ce n’est pas un gros ennui car l’embarcation est stable. Nous voilà lancés.

Dans le « dingi », on se croirait dans l’arche de Noé. Il y a des Congolais de Kinshasa et de Brazzaville, des Angolais ; des Camerounais, des Guinéen, des Nigérians, des Centrafricains, des Libanais, des Afghans, des Egyptiens, des Lybiens, des Syriens, etc.

Chacun prie son “dieu” et espère qu’on arrivera en un seul morceau. Ça fait 3 heures qu’on navigue. Notre objectif : l’île de Samos. Le mapser (la personne qui gère notre itinéraire), lui, reste les yeux rivés sur maps google (une application qui donne et décrit la trajectoire en temps réel).

Le vent du petit matin berce les plus jeunes qui s’endorment. Puis, j’entends le gars qui gère le maps qui s’écrie : ” Welcome in Greece”! On y est ! Nous sommes dans les eaux nationales grecques. C’est la joie dans le « dingi ». Certains louent le Seigneur. Cette euphorie est vite interrompue par l’éblouissement d’un phare aveuglant et le klaxon d’un grand bateau de surveillance. C’est la marine turque. Bordel ! La voix dans le haut parleur déchire le silence de la nuit.  « Kapat motor ! kapat motor ! » qui veut dire, “arrêtez le moteur” ! Vous êtes en état d’arrestation pour immigration clandestine et illégale.

Nous sommes arrêtés

Nous sommes en prison, on l’appelle prison mais c’est en fait, un centre de détention pour immigrés clandestins. On y entasse femmes, enfants, jeunes et vieux dans la même cellule. J’y retrouve des camerounais, des guinéens et j’en passe… Deux promenades par jour d’une heure chacune et trois repas sont mon quotidien. Une toilette pour 15 et les matelas à même le sol. J’y reste 30 jours. L’hiver, c’est un peu comme l’enfer. Il y fait encore plus froid.

Au bout de 30 jours, nous sommes libérés. Retour à la case départ. Une fois dehors, nous rentrons en contact avec notre passeur. Il nous exhorte et nous remonte le moral. “Ça arrive”, dit-il. Et de rajouter : “Mais ne vous découragez pas. Vous êtes venus pour traverser. Tenez bon !” Le passeur insiste et nous rassure de plus belle. “Il y a un autre convoi dans 3 jours. Le temps pour vous de récupérer ?”.

Mes compagnons et moi répondons : “On sera prêt. Trois jours tard, le passeur nous relance et nous prévient d’être prêt. Nous quittons l’Hôtel à 3 heures. Et comme la première fois, même rituel. Après plusieurs tentatives et plusieurs arrestations, nous gagnons finalement la Grèce.

Je suis pris en charge par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés.

J’ai quitté ma maison en Octobre 2018. Après plusieurs tentatives et prisons, j’ai gagné la ville d’Athènes en Grèce le 02 Mars 2020. Et, j’y suis depuis.

Moralité : Je pense que si vous avez quelqu’un dans cette tourmente, témoignez-lui de la sollicitude. Croyez-moi !

Baggio

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