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La Regideso, les deuils et l'industrie de la mort

Chronique de la vie à Kinshasa

Cher cousin,
Je t’avais dit que l’état d’urgence «sanitaire» a été levé, mais que les autorités nous supplient de continuer à respecter certains des gestes barrières. Le gouverneur de la ville a tout de même souligné que la mesure d’enterrement des dépouilles dès leur sortie de la morgue ne serait pas levée. La mesure est respectée, mais les Kinois ont tout de même repris à organiser des deuils dans leurs domiciles, même si le corps de la personne décédée n’y est pas exposé.

Cette nuit, j’ai été réveillé vers 1 heure du matin par une forte musique venant de deux rues avant la mienne. Une sono puissante trouait ainsi la nuit. Dérangé dans mon sommeil, j’ai dû me réveiller en sursaut. Malgré ce dérangement, j’ai plutôt bien pris cela puisque en regardant par la fenêtre de la chambre, j’ai constaté que l’eau coulait du robinet alors que celui-ci était resté à sec toute la journée. Vite fait, j’ai sauté du lit et me suis retrouvé dehors remplissant bidons et autres récipients pour constituer des réserves d’eau.

Comme tu le sais, la Regideso n’a pas encore abandonné ses mauvaises habitudes consistant à ouvrir ses vannes surtout la nuit entre minuit et 5 heures du matin et rien ou presque durant la journée. J’ai constitué des réserves d’eau, accompagné par la musique chrétienne venant du deuil dont je t’ai parlé.

Ce matin en passant par là, j’ai voulu savoir si l’organisation des deuils était autorisée. Une connaissance m’a juste répondu que la famille aurait obtenu une autorisation pour ça : « Il faut les comprendre. Nous sommes des Africains et bantous de surcroît. Nous devons honorer nos morts. On ne ramène pas le corps sur le lieu du deuil, mais on lui rend hommage». Je me suis naturellement incliné.

Toutefois, le deuil en question était organisé en pleine rue, laissant juste un petit passage. Pas de catafalque, mais juste deux tentes avec des chaises en plastique. Sur une chaise au milieu d’une des tentes, la photo du défunt. Le matin, la famille devait se rendre à la morgue pour la sortie du corps. Direction : cimetière.

Cher cousin,
J’ai constaté que l’industrie de la mort se porte plutôt bien. De nombreux cimetières ont vu le jour sur la route nationale n°1 , dans leurs axes qui mènent vers le Kongo central ou le Kwango. Certains des cimetières où sont enterrés des Kinois se trouvent dans le Kongo central, territoire de Kasangulu. C’est le cas de Mingadi 1 et 2.

J’y étais il y a presque trois semaines pour consoler un collègue de service qui avait perdu son épouse. Le corps avait été gardé à la morgue de l’Hôpital Mabanga, quartier Yolo dans la commune de Kalamu. Il y avait foule ce samedi là. J’ai vu sur place qu’une «nouvelle» activité commerciale y avait vu le jour. Des gens louaient des chaises aux personnes venues assister à la levée des corps des leurs. Prix : 250 fc la chaise. Les prix ont même grimpé à 300 fc, puis 500 fc la chaise à cause de l’affluence, l’attente étant trop longue. Le Kinois sait profiter des situations qui se présentent, même s’il faut reconnaître que cette activité aide les gens à supporter la longue attente de la sortie des corps.

Au sujet des morgues, j’ai noté qu’il y en aussi de nouvelles à Kinshasa, comme celle de Mabanga à Yolo ou encore celle érigée tout récemment à Ngaba à l’Hôpital Bobi Ladawa. Samedi dernier, il y avait vraiment foule ici, avec en prime un embouteillage monstre sur une bonne partie de l’avenue Kianza. Autour de la morgue, les débits de boissons affichaient complet et la bière coulait à flot.

Bon, on fait avec. Au moins, les familles éprouvées n’ont plus à se préoccuper de la location des salles pour l’organisation des deuils. Dans certaines de ces salles (Koffi ou Miséricorde) situées dans la commune de Gombe, la location de la salle allait de 2500 $ à 6000$. Selon qu’il s’agissait d’un jour ouvrable ou du week-end. Quant au reste, si un «bon» cercueil coûte au moins 300$, il faut débourser entre 2000$ et 6000$ pour une sépulture au cimetière «Nécropole entre ciel et terre».

Ces dépenses exubérantes font sourir plus d’un. Parfois, la personne morte n’avait besoin que de moins de 100$ pour son traitement et vivre peut-être plus longtemps. On préfère des dépenses ostentatoires pour bomber le torse plutôt qu’aider une personne à se soigner. Le mort, lui, n’aura rien vu de toute cette débauche de moyens. Mais bon, on est africains et bantous.
A plus.
Tien, Franck

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