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Maïka Munan : « En RDC, 80% de musiciens amateurs étouffent 20% de professionnels»

Maïka Munan

Plus connu par les Kinois en tant qu’arrangeur, Maïka Munan aime se présenter comme un artiste-musicien. Multi-instrumentiste, il compose, il réalise, il arrange, il dirige les musiciens. Son instrument de base est la guitare. Depuis trois décennies, il réalise les albums de ses collègues. Maïka Munan est aussi chercheur. Il a orienté ses recherches vers les musiques traditionnelles du Congo. Entretien avec ce grand nom de la musique congolaise.

Quel jugement portez-vous sur la musique congolaise actuelle?

Il est très difficile de répondre à cette question. La musique congolaise ne détient plus le leadership d’antan même si on prétend l’avoir. Nous surfons sur une vague impulsée par nos aînés. Nous sommes dans une des mauvaises phases de la musique congolaise. La créativité est réduite au grand maximum. Tout le monde se copie avec une fidélité flagrante. Je peux vous aligner dix albums qui se sont servis de la même grille. Un philosophe avait dit que quand il y a un problème dans la musique il ne faut pas aller le chercher dans la musique mais dans le mental. Nous qui sommes une si grande nation en musique, nous ne nous rendons même pas compte qu’on nous sert la même chose et personne n’en parle au contraire nous nous en délectons. Comment avons-nous éduqué l’oreille des jeunes? Que leur avons-nous mis dans l’oreille pour qu’ils ne se rendent pas compte. 

Nous devons accepter que nous sommes dans une mauvaise passe. Les textes sont très pauvres. Harmoniquement nous avons appauvri cette musique au point de lui garder que deux ou trois accords avec lequel tout le monde tourne. 

De plus, l’économie de la musique est morte. L’artiste ne peut plus vivre de sa musique. Les cd piratés sont vendus partout. Une entreprise qui ne crée pas de bénéfices est appelée à mourir. En retour, les musiciens se sont tournés vers le phénomène «mabanga» (ndlr : c’est le fait de citer le nom d’un individu moyennant argent) parce que c’est devenu la seule source de revenus. La qualité de la musique en pâti parce qu’il faut créer des espaces pour introduire les « mabanga » ou sacrifier la musique pour dire les «mabanga». Cela est rentré dans notre mentalité à tel point que nous créons des morceaux qui durent dix minutes avec deux minutes de chansonnettes et huit minutes de « mabanga ». 

Alors, que faut-il faire pour rentrer dans le droit chemin ?

Il faudrait qu’on ait un festival qui présente aux jeunes la musique tel qu’elle se joue ailleurs. Quand il y a eu le show lors du combat en 1974 entre Mohamed Ali et George Foreman, cela a été un électrochoc. Et le lendemain beaucoup de choses se passaient différemment. Il faut faire voyager les jeunes à partir d’ici. Le jeune congolais n’a pas besoin de se transformer en jeune habitant d’Harlem aux USA. Il ne s’agit pas de singer, mais garder notre originalité. Quand je rencontre les jeunes comme Lexxus, je leur dis toujours de ne pas oublier nos ingrédients, de rester nous -mêmes. 

Ce ne sont pas les talents qui manquent. Seulement, Kinshasa a emprisonné la musique congolaise et s’est accaparé de toute la musique du Congo. Il y a des talents qui naissent et meurent dans les provinces. Il faut qu’il y ait une politique qui fasse que ces gens là aient une visibilité pour que la musique congolaise soit à la dimension du pays. Qu’on entende d’autres sons! 

Ne croyez-vous pas que la musique congolaise a eu un adversaire de taille qu’est la musique ivoirienne ?

On nous fait croire cela. La musique ivoirienne s’est appuyée sur le show-biz français pour se propulser. C’est une musique essentiellement commerciale. Il n’y a pas d’autres choses autour. Je ne dis que pas que ce qu’ils font est mauvais mais ils ne s’approcheront pas du Congo. Le Congo regorge de talents. Ce n’est pas parce qu’ils passent sur TV5 qu’ils ont plus de talents que nous. Ils n’ont pas fait plus que le Congo mais ils se sont plutôt professionnalisés et le font tellement bien qu’ils rentrent dans toutes ces structures et s’organisent pour y demeurer.

La survie de la musique congolaise passe-t-elle donc par la professionnalisation ?

La musique congolaise est composée de 80% d’amateurs qui étouffent 20% de professionnels. Et ces amateurs ne souhaitent pas que cela change. Nous avons aussi un problème de format avec des chansons qui durent 15 minutes. Nous devons nous mettre aux standards internationaux comme nos ainés. Au moment où je vous parle, il n’y a plus aucun producteur digne de ce nom qui s’intéresse à nous. Pourquoi nous ne rentrons pas dans les structures qui vont nous vendre dans le monde? Parce que nous ne nous mettons pas aux standards. 

Propos recueillis par Bin Saleh

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  1. Me Maïka Munan ,Après avoir lu cet exposé brillant , je me suis rendu compte du grand travail que les musiciens congolais ont à faire,…cette triste réalité comment peut-elle changer? Est-ce que les festivals suffisent pour redorer cette musique qui “était” l’image, la force de la culture congolaise?
    À mon humble je crois que cela ne suffira.
    La pensée du philosophe qui accuse le mental d’être la cause du declin de la musique et non la musique elle même prend sens quand on regarde la musique faite par les jeunes congolais, et je crois qu’il est necessaire de traiter la source et non les consequences.
    la ruine de cette culture musicale en grande partie est causée par l’education nationale.
    Que apprenons-nous en ce qui concerne notre culture musicale dans le milieu scolaire?
    Avons-nous pris le temps d’initier nos enfants à la connaissance de l’origine de cette musique?…il y a des multiples questions à nous poser avant d’accuser cette jeunesse qui subit “peut-être” les erreurs commises par leurs aînés.
    Et ma question qui s’adresse à vous monsieur Maïka Munan :
    Qu’avez-vous fait pour sortir la musique congolaise de ce gouffre ou du moins que faites-vous?
    MERCI.
    Michael kilola , Kinshasa RDC.

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