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Muhoozi Kainerugaba redessine les frontières de la RDC : Provocation ou nouvelle guerre annoncée ?

Dans une série de tweets incendiaires, le Général Muhoozi Kainerugaba, haut gradé de l’Uganda People Defence Forces (UPDF) et fils du président Yoweri Museveni, a ouvertement révélé ce qu’il considère comme les “sphères d’influence” de l’Ouganda et du Rwanda sur le territoire congolais.

Ces déclarations, loin d’être anodines, posent de questions sur l’intégrité territoriale de la République Démocratique du Congo et sur les véritables ambitions du Rwanda et de l’Ouganda.

« Eh bien, maintenant, l’UPDF va s’emparer de toute la frontière de la RDC avec l’Ouganda. Du Lubero au nord ! C’est notre sphère d’influence. RIEN ne se passera là-bas sans notre permission », a-t-il affirmé. Avant d’ajouter dans un autre message : « La sphère d’influence du Rwanda s’étend de 20 kilomètres au sud de Lubero et vers le sud ! »

Ces propos tombent à un moment critique, alors que les villes stratégiques de Goma et Bukavu sont passées sous le contrôle du M23/AFC, un mouvement rebelle soutenu par les forces spéciales rwandaises.

Un message codé au M23 et à l’armée rwandaise ?

Derrière ces mots lourds de sous-entendus, se dessine un message codé adressé au Rwanda et à ses alliés du M23. Ces déclarations de Kainerugaba semblent fixer une limite géographique à ne pas franchir, marquant une forme de revendication territoriale ougandaise sur l’est congolais.

Si cette interprétation est juste, alors le spectre d’un affrontement militaire entre l’Ouganda et le Rwanda sur le sol congolais devient une hypothèse sérieuse.

Ce scénario n’a rien d’inédit.

Pour rappel, au début des années 2000, les armées ougandaise et rwandaise se sont affrontées directement sur le sol congolais, notamment à Kisangani, transformant l’est de la RDC en champ de bataille pour leurs intérêts respectifs. Ces affrontements, connus sous le nom de “Guerre des Six Jours”, ont fait des centaines de victimes civiles et ont illustré comment ces deux pays, officiellement alliés lors de la Seconde Guerre du Congo (1998-2003), poursuivaient en réalité des agendas divergents sur le territoire congolais.

Depuis cette époque, malgré des périodes d’accalmie, les tensions n’ont jamais véritablement disparu. L’ingérence rwandaise s’est notamment manifestée via le soutien au M23, groupe rebelle dont la résurgence depuis 2022 a provoqué le déplacement de centaines de milliers de personnes. Plusieurs rapports des experts des Nations Unies ont documenté avec précision la présence de soldats rwandais combattant aux côtés du M23, ainsi que la fourniture d’équipements militaires sophistiqués par Kigali.

Ouganda et Rwanda en RDC : deux présences, deux légitimités

La différence fondamentale entre les présences militaires ougandaise et rwandaise en RDC réside dans leur statut légal. L’UPDF opère officiellement sur invitation du gouvernement congolais pour combattre les terroristes des Forces démocratiques alliées (ADF) en Ituri, dans le cadre d’une opération conjointe (Shuuja) lancée en novembre 2021. Le président Museveni a d’ailleurs récemment réitéré que cette présence s’inscrivait dans un cadre légal et visait également le développement d’infrastructures routières transfrontalières.

En revanche, la présence des forces rwandaises aux côtés du M23 constitue une violation flagrante de la souveraineté congolaise, dénoncée par Kinshasa et confirmée par les rapports des experts de l’ONU.

Cette nuance n’efface pourtant pas les suspicions sur les réelles intentions de l’Ouganda. L’histoire a prouvé que les alliances dans la région sont mouvantes, opportunistes et dictées par les intérêts économiques et stratégiques.

Kinshasa – Kampala : un silence diplomatique lourd de sens

Face à ces propos potentiellement explosifs, le silence des gouvernements concernés interpelle. Ni Kinshasa ni Kampala n’ont encore réagi officiellement aux déclarations du général Kainerugaba. Ce mutisme peut être interprété de diverses manières.

Du côté de Kinshasa, ce silence pourrait refléter une position délicate. Comment condamner fermement ces déclarations sans compromettre la coopération militaire contre les ADF? Faut-il interpréter ces propos comme une menace réelle ou comme une simple sortie hasardeuse du fils du président Museveni ?

Du côté de Kampala, l’absence de clarification peut être une stratégie délibérée. En laissant ces propos circuler sans désaveu officiel, Kampala teste les réactions internationales tout en gardant une porte ouverte à l’escalade ou au compromis.

Ce double silence ne fait qu’alimenter l’incertitude, fragiliser davantage la position de Kinshasa et accroître les tensions dans une région déjà instable. Il souligne également la complexité des relations entre ces pays voisins, où les canaux de communication officielle coexistent avec des déclarations informelles mais potentiellement lourdes de conséquences.

Les enjeux stratégiques : une guerre géopolitique et pour les minerais

L’intérêt des pays voisins pour l’est de la RDC ne peut être dissocié des immenses richesses minérales de la région. Le Nord-Kivu et le Sud-Kivu est un joyau minéral convoité et regorgent de ressources stratégiques : coltan, or, étain, tungstène et terres rares, essentiels à l’industrie électronique mondiale. La région de Lubero mentionnée par Kainerugaba est particulièrement riche en or et en coltan.
Les zones d’influence que l’Ouganda et le Rwanda revendiquent et cherchent à contrôler correspondent précisément aux corridors d’exportation de ces minerais. Le contrôle de ces territoires permet non seulement l’exploitation directe des ressources, mais aussi la taxation des flux commerciaux, légaux comme illégaux.

Par ailleurs, la prise récente de Goma, centre névralgique du Nord-Kivu situé sur les rives du lac Kivu, et de Bukavu, capitale du Sud-Kivu, représente un avantage stratégique considérable pour le Rwanda et ses alliés du M23. Ces deux villes constituent des portes d’entrée majeures vers les zones minières et des points de transit essentiels pour l’exportation des ressources.

Quelle riposte pour Kinshasa ?

Face à ces déclarations qui dévoilent sans ambiguïté les ambitions territoriales ougandaises et au silence troublant qui les entoure, le gouvernement congolais se trouve dans une position particulièrement délicate. Le mutisme actuel de Kinshasa pourrait traduire une phase d’analyse et de consultation, mais ne saurait perdurer sans risquer d’être interprété comme une forme d’acceptation tacite.

Ainsi, plusieurs options se présentent pour les autorités congolaises : d’abord, rompre ce silence par une réponse diplomatique ferme semble incontournable. Le gouvernement congolais devrait exiger des clarifications officielles de Kampala concernant ces déclarations. L’Ouganda pourrait être tenté de les minimiser comme des opinions personnelles ne reflétant pas la position officielle du pays, mais l’influence de Kainerugaba au sein du pouvoir ougandais rend cette explication peu crédible.

Ensuite, le renforcement de la présence de l’armée congolaise (FARDC) dans les zones frontalières mentionnées par Kainerugaba apparaît comme une nécessité. La création de zones tampons sous contrôle strict des forces nationales pourrait limiter les incursions étrangères.

Par ailleurs, la communauté internationale, et particulièrement la Communauté de Développement d’Afrique Australe (SADC) dont la RDC est membre, devrait être davantage impliquée. La mission de la SADC en RDC pourrait être renforcée spécifiquement dans les zones frontalières avec l’Ouganda.
Enfin, une révision des accords militaires avec l’Ouganda semble nécessaire, avec l’introduction de garde-fous plus stricts et de mécanismes de contrôle multilatéraux pour garantir que la présence de l’UPDF reste strictement limitée à la lutte contre les ADF.

Une région à la croisée des chemins

Les récentes déclarations du général Kainerugaba et le silence assourdissant qui les accompagne illustrent une nouvelle fois la fragile équation géopolitique à laquelle la RDC est confrontée. Prise en étau entre des voisins aux ambitions territoriales à peine voilées, dotée d’immenses richesses minérales mais d’un appareil sécuritaire encore en reconstruction, la RDC doit faire preuve d’une habileté diplomatique exceptionnelle.
L’enjeu dépasse largement les frontières congolaises : c’est la stabilité de toute la région des Grands Lacs qui se joue actuellement. Au-delà des intérêts immédiats des différents acteurs, c’est avant tout le sort des populations civiles qui devrait guider les actions à venir. Car ce sont elles qui, comme toujours, paient le prix le plus lourd des ambitions géopolitiques et économiques qui s’affrontent sur leur terre.

FNK

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