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Raymond Kabongo : "Il faut interdire définitivement l’exploitation minière artisanale en RDC"

Expert en finances publiques et fiscalité minière, Raymond Kabongo Kadila Nzevu travaille depuis des années dans la gouvernance minière. Consultant chez plusieurs organisations internationales, cet ancien coordonnateur de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE- RDC) a participé à plusieurs études sur l’industrie minière en RDC. Lisapo est allé à sa rencontre pour cerner tous les contours de ce secteur, poumon de l’économie nationale, mais qui échappe au contrôle de l’Etat. Interview.

Quel état des lieux dressez-vous actuellement du secteur minier en RDC ?

La RDC a toujours été un pays essentiellement minier. Ce modèle économique a montré beaucoup de limites. Compter sur un seul secteur est une erreur stratégique car il suffit d’une crise pour que l’économie du pays puisse ressentir le choc. A l’effondrement de la Gécamines et de la Miba, des pans entiers de la RDC sont restés dans une pauvreté abjecte. C’est ainsi que le phénomène de l’exploitation minière artisanale est apparue. L’industrie minière en RDC est bimodale. Elle est à la fois artisanale et industrielle. Dans divers produits, les plus grandes quantités proviennent de l’exploitation artisanale. C’est seulement au cours de ces dernières années qu’une société s’est installée dans le Masisi au Nord- Kivu. Cette situation impacte sur les recettes du secteur minier. Nous sommes dépendants du cours des produits miniers.

Le Code minier prévoyait un processus pour les sociétés minières. Il s’agit de l’installation, la recherche, la montée de l’usine et l’exploitation. Les capitaux provenant des sociétés minières sont empruntés. Le Code a prévu un congé fiscal pour le remboursement de la dette. Actuellement, 5 ou 6 entreprises sont arrivées à la fin de la récupération de leurs investissements et sont capables de payer les taxes à l’Etat congolais. C’est ainsi que la part du secteur minier a augmenté dans le budget de l’Etat.

L’état des lieux se caractérise aussi par la manière dont se tiennent les cours des matières premières. Malgré son monopole, avec 80% de réserves mondiales du cobalt et 70% de cobalt utilisés dans le monde, la RDC est incapable d’imposer le prix sur le marché. C’est plutôt les sociétés minières étrangères qui jouent sur les prix avec des gros stocks tirés en RDC. C’est ce que nous subissons aujourd’hui avec la chute des cours du cobalt sur le marché.
Au niveau de l’exploitation minière artisanale, la situation est désastreuse. Aucun artisan minier n’est passé de la mine artisanale à la petite mine. Ils sont restés à l’économie de la débrouille. Ils sortent les produits dans des puits très profond avec risques sur la santé et un impact néfaste sur l’environnement. Ils ne gagnent qu’un dollar par jour. Ils sont profondément pauvres. Dans certaines communautés, on abandonne l’agriculture pour les mines alors qu’ils vivaient décemment en cultivant la terre. Les Congolais devraient se poser la question de savoir quel doit être le modèle économique imprimé à l’industrie minière.

Quels sont, selon vous, les principaux défis du secteur minier en RDC?

Certains esprits pourraient être choqués. Je pense qu’il faut interdire définitivement l’exploitation artisanale en RDC. Il y a plus des effets néfastes que bénéfiques. Savez- vous que là où sévit l’exploitation artisanale, les enfants n’étudient plus, les professeurs n’enseignent plus. Nous sommes en train de perdre complètement toute une génération. Ces gens n’ont aucun avenir dans les mines. Les exploitants miniers doivent revenir à l’agriculture. L’Etat doit appuyer des coopératives agricoles. C’est l’agriculture qui peut développer ce pays.

Pour le secteur minier industriel, les défis sont diverses. Il faudra d’abord lutter contre la corruption. Je suis le premier coordonnateur de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives en RDC (ITI- RDC). J’ai milité pour son implantation au pays. Je connais les limites de l’ITIE. La simple déclaration de l’Etat sur les recettes minières et des entreprises minières sur les taxes versées à l’Etat, ne suffit pas pour lutter contre la corruption. Cela ne peut installer la transparence dans le secteur. L’Etat congolais est incapable de vérifier les quantités produites, la teneur des produits, les quantités exportées et les prix vendus à l’extérieur. Les sociétés augmentent les charges pour réduire les bénéfices et elles payent moins à l’Etat congolais. La RDC ne maîtrise pas le circuit.

Le secteur minier est frappé par une carence énergétique. Inga est incapable de fournir l’énergie électrique aux entreprises minières. Certaines sociétés exportent les produits avec un taux élevé d’eaux. Elles n’arrivent pas à bien sécher les matières premières. Certains produits sont retraités en Zambie. C’est une plus value que la Zambie gagne et c’est un manque à gagner pour la RDC. Le secteur minier doit migrer de l’industrie extractive vers une industrie de transformation. L’autre défi se situe au niveau des hommes. Nos experts du secteur doivent se mettre à niveau pour faire face aux sociétés minières étrangères. Elles sont plus outillées. Il faudra enfin sécuriser les recettes du secteur minier. Nous venons de partager avec les instances gouvernementales une étude de la Banque mondiale sur la sécurisation des recettes minières.

Le nouveau Code minier a fait couler beaucoup d’eaux sous le pont. Que peut-on retenir de ce document ?

Les experts miniers sont partagés sur le nouveau Code minier. A mon avis, la RDC dispose des meilleurs instruments juridiques très pointus. Le Code de 2002 n’était pas mauvais. Il n’intégrait pas certaines dispositions de la Constitution de 2006. Notamment sur les attributions des provinces et du gouvernement central. Ce Code n’avait pas besoin d’être revu au niveau des aspects financiers, fiscal, douaniers, etc. Je dois reconnaître que le Code de 2002 était appliqué à 50%. Je pense que si on avait atteint 80%, on n’allait pas avoir le nouveau Code. Il y avait des contrats déséquilibrés qui privaient l’Etat de ses moyens et donnaient la part belle aux entreprises minières. La renégociation des contrats miniers avait résolu tous les problèmes. Mais trois ans après, la Gécamines par la voix de son président du Conseil d’administration, Albert Yuma, a dit avoir été flouée par les sociétés minières partenaires. J’ai du mal à comprendre cette réaction. Il y a deux alternatives: soit on n’avait pas des gens capables de maîtriser tous les concepts d’une négociation des contrats miniers soit simplement, on avait des gens conscients mais qui ont été corrompus. Ils ont accepté des termes pour défavoriser l’Etat congolais.

Qu’est-ce qui a motivé réellement l’élaboration de ce Code

Le nouveau Code minier représentait un défi par rapport à la situation politique de l’époque. Il était question de régler des comptes avec certains Etats. Ce Code semble être prohibitif. La RDC n’est pas dans une situation de monopole. Nous sommes dans une concurrence mondiale où d’autres pays procèdent nos produits miniers. La RDC ne peut pas imposer n’importe quelle fiscalité aux entreprises minières.
Aujourd’hui MUMI Glencore va arrêter ses activités pendant 2 ans. La première fois quand cette société avait suspendu ses activités durant une année, nous avons perdu 15% des recettes de l’Etat. Cette fois- ci, nous aurons une double pénalité. La production va baisser et le cours du cobalt a chuté. Nous allons ressentir les effets tout de suite.
Le nouveau Code parle de la création d’un fonds minier. Je sais que l’Etat va puiser dans ce fonds dès qu’il y aura déficit ou un besoin quelconque. Seule, la diversification de notre économie pourra nous permettre de constituer ce fonds minier pour le futur.
Aussi longtemps que les tares que j’ai soulevées ne sont pas encadrées, traitées et corrigées, le nouveau Code minier n’apportera substantiellement rien de plus au pays.

Qu’est-ce qui divise fondamentalement ?

Le nouveau Code minier a identifié certains produits comme étant stratégiques. La RDC n’a pas une stratégie sectorielle sur les mines. Mais, il existe un plan stratégique. Nous avons eu une discussion sur la manière de qualifier un produit stratégique par rapport à un autre. Le cobalt est qualifié de produit stratégique suite à son utilisation dans des applications liées aux nouvelles technologies. On pense qu’il y aura une forte demande. Je pense que ce n’est pas suffisant. Les Etats- Unis ont une réserve stratégique du pétrole. Ils se servent de cette réserve pour jouer sur le cours du pétrole dans le monde. Quand les pays arabes veulent monter le prix, les USA déversent sur le marché une grande quantité pour équilibrer les prix. Stratégie signifie être capable d’influencer les prix sur le marché. Savez- vous que certains pays mènent des recherches pour trouver un produit de substitution au cobalt? Lorsque nous voulons appliquer une fiscalité élevée, le raisonnement est faussé.

Aujourd’hui, le cobalt a perdu près de tiers de sa valeur. En quoi, est-il stratégique ?

La RDC est dans un bras de fer avec les sociétés minières ou les Etats utilisateurs de nos produits. Ces pays nous expliquent que ce n’est pas en décidant ici en RDC que le Code sera appliqué. Il va falloir dialoguer avec nos partenaires. Le nouveau président de  la République a pris la mesure de la situation. Il a reçu dernièrement les miniers. Tout le monde avait le sourire à la sortie de l’audience. Je pense que les choses seront aplanies.

Les cours du cuivre et du cobalt sont en chute sur le marché international. Cette situation a-t-elle une incidence sur la mobilisation des recettes dans notre pays ?

Effectivement, il y aura une incidence certaines. Nous sommes dans un rapport où quand vous produisez plus, vous appliquez un pourcentage sur une quantité et vous allez avoir plus des recettes. Par exemple, quand vous vendez à 10$ et que vous appliquez 1%, vous allez avoir 1% de 10$. A supposez que vous vendez à 1000$, vous aurez 1% de 1000$. La RDC se trouve dans cette vulnérabilité économique. Il faut changer cette vision de notre économie.

Les produits miniers subissent un cycle. Il y a un cycle haussier et un autre baissier. Un cycle peut de fois durer 10 ans ou être circonstancier d’une année simplement. Alors, si vous basez vos recettes sur quelque chose de cyclique, en réalité, vous basez vos recettes sur quelque chose d’hasardeux et vous serez fragilisés.

Quelle stratégie peut adopter le gouvernement congolais pour faire face à la chute des prix du cuivre et du cobalt?

C’est une occasion pour changer le fusil d’épaule. Nous ne devons pas laisser l’économie de tout un pays sur un seul secteur. Il existe des domaines non exploités. C’est le cas du secteur de service. Certains pays n’ont pas des mines mais ils font des recettes et créent la richesse. L’Allemagne et le Kenya, par exemple, ont développé le service. Ils font d’énormes recettes. L’Etat devra aussi encourager les petites et moyennes entreprises. La plupart des PME évoluent dans les offres de services. Il faudra aussi que la RDC puisse entrer dans la révolution numérique. Il n’y a pas que les télécoms dans le numérique. En boostant le secteur numérique, nous allons créer une économie numérique. Elle peut générer beaucoup d’emplois. La RDC doit exploiter d’autres filières pour diversifier les recettes de l’Etat. Il y a l’économie verte, l’économie numérique, etc. Nous avons une chance dans ce pays. Il existe plusieurs niches pour accroitre la richesse nationale.

Pour développer ce pays, nous devons relever deux autres défis. C’est d’abord, mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Il y a des Congolais tant au pays qu’à l’étranger qui sont compétents. Deuxièmement, le gouvernement devra installer le pays dans un changement véritablement démocratique où le cycle électoral se fera tous les cinq ans. C’est qu’on pourra penser développement.

Quelle perspective pour le secteur minier en RDC ?

Je pense que la Gécamines n’aurait pas dû vendre toutes ses mines stratégiques dans le cadre du partenariat. La CODELCO, la société minière du Chili, demeure sous le giron de l’Etat chilien. Cela permet de jouer aussi bien en termes de compétition avec les autres sociétés que sur les coûts des productions. On peut comprendre pourquoi les partenaires ont des coûts élevés. On peut aussi jouer sur les prix au niveau international. La Gécamines peut se décider de ne pas exporter les produits pendant 2 ans et créer une rareté sur le marché. Cela peut faire grimper les prix sur le marché. La Gécamines aurait été une société stratégique capable d’influencer sur les coûts du cuivre et du cobalt.

Je suis heureux d’apprendre que la RDC veut se lancer dans la recherche géologique. Ce pays n’a pas été découvert à 100%. Il y a des minerais qu’on ignore. En ce moment, nous pouvons les vendre en possédant par appel d’offre en ayant une connaissance du prix que nous attendons. C’est une chose qui ne se fait pas encore jusque là.

Propos recueillis par Bin Saleh

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