Un affrontement juridique sans précédent secoue les institutions judiciaires congolaises. Le ministre d’État à la Justice, Constant Mutamba, a officiellement récusé non seulement le Procureur Général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, mais aussi tous les magistrats relevant de son autorité. Une manœuvre qui suscite indignation, étonnement et débat dans les milieux juridiques.
Dans une correspondance datée du 10 juin 2025, Mutamba accuse le parquet de mener une instruction biaisée, accélérée et politiquement motivée. « Je me sens en droit d’empêcher votre partialité et celle des magistrats de votre office afin de bénéficier d’une instruction juste », écrit-il à Firmin Mvonde.
Le ministre reproche aussi au Procureur d’avoir saisi trop tôt l’Assemblée nationale pour une autorisation de poursuite, alors que l’instruction est encore en cours. « Curieusement, sans attendre la clôture de ladite instruction, vous avez sollicité une autorisation de poursuite… pour, dites-vous, aller vite », s’étonne-t-il dans la même lettre.
Cette récusation collective, rare voire inédite, est analysée par les juristes comme une tentative de neutralisation du parquet. En droit congolais, l’article 59 de la loi n°13/011-B du 11 avril 2013 permet à un justiciable de récuser un magistrat, mais non un parquet tout entier.
Pour le professeur Sam Bokolombe, cette démarche révèle une « ignorance manifeste des principes fondamentaux du droit congolais » et constitue « une atteinte grave à l’ordre juridique établi ». Il va plus loin : « Ce n’est plus un simple déficit de formation, c’est une profanation du droit », déclare-t-il. Selon lui, « le ministère public est une institution indivisible, un organe de la Loi, et donc par essence, irrécusable ».
Il accuse Mutamba d’orchestrer une « vaine bravade » et une tentative de « décrédibilisation de la justice congolaise ». Dans ses mots, il s’agit d’« une manœuvre de diversion visant à soustraire l’inculpé à l’action de la justice » par « une infantile intimidation ».
L’affaire prend un relief plus grave encore dans un contexte où Constant Mutamba est soupçonné de détournement de deniers publics. Des éléments « accablants », selon des sources judiciaires, seraient déjà dans le dossier. « C’est la solidité de l’État de droit qui est en jeu », alerte Bokolombe.
Maître Victor Ebenya Molongi critique également la démarche. Selon lui, le ministre aurait dû respecter les formes prévues : « Il aurait dû solliciter auprès du Procureur Général près la Cour de cassation la réattribution du dossier à un autre magistrat du même office. En outre, les faits infractionnels étant personnels, il ne devrait pas utiliser l’en-tête du Ministère d’État/Justice. »
De son côté, Maître Jean-Robert Muibadi alerte sur un vide juridique préoccupant. « Constant Mutamba récuse tous les magistrats près la Cour de cassation après la demande d’autorisation de poursuites judiciaires contre sa personne. Qu’adviendra-t-il dans ce cas ? Le ministère public va-t-il quand même forcer la main pour aller de l’avant ? » s’interroge-t-il.
Me Muibadi poursuit : « Si c’est vrai, alors il y a de quoi s’inquiéter dans ce dossier. Au cas où la Cour de cassation statuerait dessus, vu qu’elle n’aura pas d’OMP pour siéger, il faudra attendre de nouvelles nominations au parquet près la Cour de cassation, car il n’y a pas de solution palliative. » Il ajoute que la Cour pourrait être contrainte de saisir la Cour constitutionnelle pour interpréter la portée de cette récusation collective.
La réponse du Parquet général près la Cour de cassation ne s’est pas fait attendre. Dans une lettre transmise aux plus hautes institutions du pays, Firmin Mvonde, par la plume de son directeur de cabinet Simon Nyandu Shabandu, notifie à Constant Mutamba que l’instruction préjuridictionnelle « est clôturée en ce qui le concerne ». Il précise que cette clôture respecte « le prescrit légal » et s’est faite « en dehors de toute autre considération ».
En appelant le ministre à garder sa sérénité pour la suite de la procédure, le ministère public balaie ainsi la tentative de récusation d’un revers de main. Il affirme, en creux, que la justice poursuivra son cours sans céder à ce qu’il considère comme une entrave politique à l’indépendance judiciaire.
Le débat est lancé dans tout le pays. Cette affaire, au-delà de son enjeu judiciaire, questionne l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire dans un État de droit. Elle pose surtout une question de fond : un ministre de la Justice peut-il défier la justice de son propre pays sans en saper les fondements ?
Elie Ngandu


