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Catastrophe de Type K : 347 morts trop vite oubliés

Lundi 8 janvier 1996. Kinshasa est déjà en mouvement. Le marché Type K, du nom d’un dancing tout proche appartenant à Tabu Ley est plein. On y vend un peu de tout. La grande spécialité, ce sont les épices et les haricots. Plus loin, de l’autre côté du marché, c’est l’aéroport de Ndolo, d’où décollent de petits avions et des avions cargos. Son prolongement, de l’autre côté de la chaussée, donne directement sur le marché Type K. Récit.

Vers 12 heures, ce jour-là, un avion-cargo affrété par une nébuleuse compagnie aérienne avec un équipage russe décolle de Ndolo. Le cargo, un Antonov An-32 B, est apparemment surchargé. Il n’arrive pas à prendre son envol. L’avion traverse l’avenue Luambo Makiadi ex-Bokassa, et termine sa folle course, les hélices à plein régime sur le marché. Vendeurs, acheteurs et passants sont surpris. Ils n’ont pas vu venir l’avion fou. Des gens sont déchiquetés par les hélices, le fuselage et les roues.

C’est la débandade dans le marché. L’avion roule tellement vite qu’il broie tout sur son passage. Des morceaux de corps humains sont éparpillés un peu partout sur au moins une centaine de mètres. Un début d’incendie est même constaté. Deux Russes parviennent tout de même à s’extraire de la carlingue. Ce sont deux des membres de l’équipage.

Le bilan de ce dramatique accident est lourd. On parle de 250 à 350 morts. Certains avancent même le chiffre d’au moins 500 morts. Le décompte est difficile. Il y a tellement des membres de corps éparpillés que la comptabilité macabre est difficile. Les blessés se comptent aussi par centaines. Le bilan officiel est établi à 347 morts.
Très vite, les secours s’organisent. Les volontaires de la Croix-Rouge sont sur le terrain. Leur travail est difficile. Des journalistes affluent de partout. Certains auront du mal à faire leur travail. Le spectacle qui s’offre à leurs yeux dépasse tout entendement. Il règne sur les lieux du drame, un calme de cimetière.
Les yeux écarquillés, embués par les larmes, la voix tremblante, venus vite aux nouvelles, des gens cherchent parents et proches. Dans les hôpitaux, le spectacle est aussi horrible. La morgue de l’Hôpital Mama Yemo est vite débordée. Le gouvernement est, lui, pris au dépourvu. Des bruits de bottes sont déjà perceptibles dans l’Est du pays. Des rebelles sont signalés. Ils prendront, quelques mois plus tard, rapidement quelques grandes villes de l’Est du pays sous la direction de Laurent-Désiré Kabila et avec le soutien appuyé des armées rwandaise, burundaise et ougandaise,

Alors, quand survient cet accident de Type K dans une ambiance près guerre, certains y voient un mauvais signe. Le maréchal Mobutu est au soir de son pouvoir. L’État est devenu trop faible. L’incurie règne dans quasiment tous les domaines, même dans le transport aérien.
On ne sait pas qui est le vrai responsable du drame de Type K. L’Antonov An-32B opérait sous le nom de la compagnie Air Africa sous licence de Scibe-Airlift, la compagnie de l’homme d’affaires Jeannot Bemba Saolona. Scibe-Airlift avait, semble-t-il, cédé une licence pour cet appareil à la compagnie russe Moscow Airways. Selon le manifeste, l’avion transportait officiellement 16 passagers et comptait 6 membres d’équipage, des Russes. Deux personnes seulement (deux membres d’équipage) sortirent vivants de l’accident.

Des responsabilités non établies qui n’ont pas empêché Type-K de renaître

L’appareil transportait officiellement 2,5 tonnes de fret, essentiellement des denrées alimentaires. Mais tous ces chiffres sont contestés. Certains affirment qu’il y avait plus de passagers dans l’avion, qui transportait plus que les 2,5 tonnes de marchandises renseignées. La destination de l’avion a toujours constitué également un mystère. Certains affirment que l’avion mettait le cap sur les territoires sous contrôle de l’Unita en Angola.
L’enquête officielle n’a abouti à rien de probant. Les victimes ont broyé du noir durant des années, les responsabilités étant, semble-t-il, difficiles à établir. Entre Scibe-Airlift qui avait cédé la licence à Moscow Airways et Air Africa sous le nom duquel opérait l’avion le jour de l’accident, qui devait supporter quoi ? Encore aujourd’hui, on ne sait dire avec exactitude si les victimes ont été indemnisées.
Il est tout de même curieux de constater que le marché Type K, fermé après ce drame, est de nouveau quasi opérationnel. Des vendeurs y ont repris du service depuis quelques années. Une caserne des pompiers y est en construction. L’ouvrage est toujours inachevé depuis des années. Le site qui abritait autrefois le tristement célèbre marché Type K est donc bien occupé. L’aéroport de Ndolo est, lui aussi, toujours aussi opérationnel. Par mesure de précaution, les avions y décollent et y atterrissent dans le sens opposé, donc via le fleuve Congo, évitant donc la partie de la piste qui donne sur l’avenue Luambo Makiadi.

On espère que deux décennies après ce drame effroyable du 08 janvier 1996, les autorités du pays et la population ont pris la mesure des risques énormes que représente ce site du marché Type K, un espace où il est difficile de circuler après une pluie, tellement l’endroit est sale, boueux.
24 ans après, les souvenirs s’estompent. Des enfants qui ont perdu un parent ont grandi. Certains n’ont parfois aucun souvenir de leurs parents. La vie continue. C’est un cycle, dirait-on. L’histoire retiendra par contre que la catastrophe de Type K reste l’un des plus meurtriers accidents de l’aviation civile, impliquant le plus de morts au sol, donc des non-passagers. Il y a eu d’autres accidents après, d’autres morts, mais Type K reste unique en son genre.
Au soir du 08 janvier 1996, Kinshasa fut plongé dans une sorte de torpeur. La ville, généralement bruyante, était plutôt calme, trop calme. On croyait se trouver dans un gros cimetière. On sentait que quelque chose d’exceptionnel venait de frapper la mégapole congolaise.

Franck Mona

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