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Bilan du secteur éducatif, 60 ans après : « Aujourd’hui, on a reculé » (Jean-Marie Ntantu-Mey)

Promoteur de l’Asbl «Bureau d’actions et d’éveil culturels (BAC)», député honoraire, ancien ministre des Transports et voies des communications, Jean-Marie Ntantu-Mey compte parmi les experts pointus dans le secteur de l’éducation. Dressant le bilan dudit secteur, 60 ans après l’indépendance du pays, cet ancien enseignant note qu’«aujourd’hui, on a reculé». Au point que certains Congolais en sont encore à regretter l’indépendance. 

Du point de vue numérique, fait remarquer Ntantu-Mey, le nombre d’instruits et d’enseignés a «augmenté terriblement, mais la qualité n’a pas suivi.» L’initiateur du BAC constate que 60 ans après, « l’enseignement est devenu beaucoup plus un lieu où l’on va se distraire. L’éducation reçue en famille devrait être renforcée et améliorée. Au contraire certains enfants, bien éduqués quand ils arrivent à l’école, perdent leurs acquis. C’est cela malheureusement, parce que l’éducation rime avec l’éthique, avec la morale. »  

Pour Jean-Marie Ntantu-Mey, les causes de cette défaillance du système éducatif congolais sont d’abord politiques. « Beaucoup de dirigeants voient beaucoup plus ce qu’ils doivent tirer de l’école que ce qu’ils doivent donner à l’école. Ceux qui assument des fonctions de dirigeants dans des ministères font tout pour avoir de l’argent. Alors que quand on est dirigeant, on est au service des autres. Mais ici c’est l’inverse, c’est le pays qui est au service des dirigeants. Le pays devient une boutique privée des dirigeants. Ce qui fait qu’au jour d’aujourd’hui, à l’école, à part quelques écoles des confessions religieuses, la plupart des écoles sont des mouroirs », affirme-t-il. 

Des maux profondément ancrés dans les mentalités

Ce n’est pas tout. Ntantu-Mey déplore également le manque d’altruisme dans l’enseignement où, dit-il, « il y a souvent des détournements. Nous avons été dernièrement dans un contrôle de nouvelles unités, qui devraient être payées au mois d’avril. Jusqu’en, elles n’étaient pas encore payées. C’est le manque d’amour de l’autre », dénonce-t-il.  

Conséquence de cette défaillance, le promoteur du BAC soutient que « 80% des diplômés d’Etat n’ont pas le niveau, ils ne savent ni lire ni écrire. L’école est devenue un lieu de suicide, voire du génocide intellectuel. Un licencié n’a pas le niveau d’un vrai licencié. C’est ça malheureusement qui fait qu’au jour d’aujourd’hui, quand on a un diplôme, ce n’est pas suffisant pour trouver du travail. C’est le militantisme, le népotisme. On n’est pas fier d’avoir un diplôme. Il faut être militant d’un parti politique, il faut être neveu de… C’est ça malheureusement ! Et le combat du BAC est d’éveiller les esprits et les consciences pour que l’on sache que ce n’est pas ça l’école. Aujourd’hui, on a reculé», regrette-t-il.

Un enseignement technique sans matériels didactiques

L’enseignement technique n’est pas épargné par cette défaillance du système éducatif. «La technique est dans la théorie, pas de matériel. Par exemple ceux qui font la menuiserie n’ont pas de bois. L’électricité, c’est aussi théorique, alors que la coopération fait un effort pour donner les moyens. Souvent ce que donne la coopération est détourné par le gestionnaire. Il n’y a pas de concret dans les écoles techniques», fait savoir Jean-Marie Ntantu-Mey.

Même dans les écoles de sections scientifiques Chimie-biologie, il y a un manque criant de matériel didactique, juste une formation théorique.

Soixante ans plus tard, le constat est tout aussi amer dans l’apprentissage de nos langues nationales. « Au jour d’aujourd’hui, les enfants ne savent pas lire et écrire dans nos langues nationales, kikongo, swahili, tshiluba, lingala notamment. Alors qu’à l’époque belge, des élèves savaient lire et écrire en nos langues nationales. Il n’y a pas de support (les ouvrages) pour enseigner dans nos langues nationales. C’est un recul.» 

Des avancées minimes …

Un coin de lumière tout de même à ce sombre tableau, le contenu des programmes où l’on retrouve quelques innovations, notamment l’anglais et l’informatique. « Aujourd’hui quand vous ne connaissez pas l’informatique vous êtes considéré comme un inculte même si vous savez lire et écrire. Il y a le fait qu’on fait un effort pour que le programme s’adapte au milieu ambiant de l’élève, de l’écolier. Il y a très peu de gens qui vont dans les filières de pédagogie appliquée. Mais il faut reconnaitre qu’il y a un certain progrès», note Jean-Marie Ntantu-Mey. 

Tout compte fait, cet ancien enseignant indique que l’espoir est permis. La gratuité de l’enseignement décrété par le Président Félix Tshisekedi est une solution pour améliorer les choses. 

«Le vœu est que les gouvernants prennent leurs responsabilités. Il ne faut pas que l’école à l’époque belge soit mieux qu’à notre propre époque. Il faut que nous puissions mériter l’indépendance, que les gens ne regrettent pas l’indépendance, au contraire on doit s’en réjouir, il faut que nos dirigeants soient responsables, qu’on ne remplace pas la chicotte belge par la chicotte congolaise… » 

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